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Pourquoi le bitcoin ne devrait pas devenir une monnaie courante dans une économie développée

Le 7 Septembre 2021, le Salvador a donné cours légal au bitcoin sur son territoire, après avoir dollarisé son économie il y a 20 ans.


Suite à cet évènement, nombreux sont ceux dans la sphère crypto qui y voient le signe d'un développement inexorable du bitcoin vers la voie de la légalisation dans une bonne partie du monde.


J'ai essayé dans mes précédentes pérégrinations d'expliquer - entre d'autres sujets - les qualités intrinsèques du couple Bitcoin-bitcoin.


Elles sont réelles et indéniables, si un tant soit peu, l'analyse est faite avec objectivité.


Toutefois, j'ai également émis l'hypothèse (à contre-courant de la sphère crypto bien que je ne sois pas encarté anti-bitcoin) que bitcoin devrait rester techniquement et structurellement (malheureusement ou heureusement en fonction de votre bord) une monnaie "partielle", en tout cas dans son format "simple couche" actuel, ou même "double couche" avec Lightning.


La raison première de cette impossibilité, n'est pas le problème de mise à l'échelle qui est en cours d'être dépassé avec le réseau Lightning Network;

La raison première de cette impossibilité, n'est pas sa consommation d'énergie car c'est une externalité;

La raison première de cette impossibilité n'est pas la règlementation car elle peut évoluer;

La raison première de cette impossibilité n'est pas la politique au sens large ou même le monopole de l'émission monétaire existante, car si la population mondiale des pays démocratiques faisait progressivement et insidieusement le choix de bitcoin, aucun gouvernement démocratique ne pourrait raisonnablement l'empêcher dans la durée sans risquer d'être écarté du pouvoir par la voie des élections.


Non, la raison première de cette impossibilité de fonction de monnaie "complète", tient d'abord et surtout au fait que bitcoin est et restera une monnaie volatile.


Lorsque je fais ce postulat, on m'oppose (et c'est excellent pour le débat d'idées) souvent les arguments suivants :


Le premier argument opposé : bitcoin serait de moins en moins volatile au fur et à mesure qu'il absorberait de la valeur des autres unités de comptes fiduciaires (ou monnaies-marchandises comme l'or). Et, au bout de ce long chemin ascensionnel, le Graal, bitcoin ne serait plus du tout volatile dès lors que bitcoin serait consacré "monnaie unique mondiale".


Le deuxième argument opposé : bitcoin serait bien volatile, mais étant donné que sur 10 ans il est passé de quelques euros à plusieurs dizaines de milliers d'euros, c'est une monnaie volatile à tendance haussière.

Je suis entièrement d'accord sur la constatation qui forge le deuxième argument, sans être toutefois d'accord sur son emploi ici, car une volatilité même à tendance haussière reste une volatilité. A fortiori, sur des petites échelles de temps où il peut y avoir des fluctuations importantes à la baisse.


A l'inverse, je m'inscris en faux sur le premier argument, car même si bitcoin était la seule monnaie du monde, bitcoin serait encore volatile.


A ce jour, nous observons la volatilité du bitcoin via le prisme des monnaies fiduciaires par conséquent elle est particulièrement évidente. Si votre bitcoin passe de 10 K€ à 50 K€ puis redescend à 40 K€ en 18 mois, tout le monde comprend aisément cette notion de volatilité.


Si bitcoin n'était plus "comparée" à une autre devise, il y aurait toujours un point de comparaison qui serait les prix des produits de consommation.


S'il n'y avait que bitcoin, bitcoin serait toujours volatile, car vous n'auriez pas le même pouvoir d'achats avec vos unités bitcoins dans le temps.


Quand la volatilité de bitcoin est mise en avant, c'est pour qualifier sa nature structurellement volatile car c'est une monnaie avec une quantité d'unités fixe en circulation; et non pour qualifier sa volatilité par rapport aux autres devises.


Pour qu'une monnaie soit stable (volatilité très faible), il faut réduire la quantité en circulation lorsqu'il y a de l'inflation agrégée, ou l'augmenter lorsqu'il y a de la déflation agrégée.


Sans taux de changes flottants avec d'autres devises, ces fluctuations de valeur s'observeraient donc dans les prix des produits de consommation, et avant cela, sans doute dans le prix des matières premières.


La production de richesse augmenterait le pouvoir d’achat du stock de bitcoins en circulation et donc de chaque bitcoin.


L’augmentation de richesse (par exemple aux Etats-Unis), engendrerait une inflation des prix localement, mais une déflation des prix dans d’autres pays, via le jeu des balances commerciales.


L’économie n’est pas totalement mondialisée, par conséquent, la croissance américaine (par exemple), ferait baisser le prix du coiffeur à l’autre bout du monde.


Les contrats exprimés en bitcoin ne seraient pas stables non plus.


Tous ces problèmes (fortement bloquants pour imaginer utiliser bitcoin en tant que monnaie de paiement) sont difficiles à conceptualiser aujourd'hui car bitcoin ne s'est pas développé via des transactions de biens et de services (contrairement aux proto-monnaies ou même à l'or). La plupart du temps, si vous possédez des bitcoins, c'est parce que vous avez vendu des euros par exemple.

Avec bitcoin, la quantité d'unités en circulation ne peut pas être augmentée ou baissée, par conséquent bitcoin restera volatile car bitcoin sera soumis aux effets de la main invisible du marché libre.


Cette volatilité du bitcoin, implique que bitcoin devrait avoir du mal à postuler pour devenir une monnaie fonctionnellement "complète".


Cette volatilité du bitcoin, implique que bitcoin devrait fonctionnellement "rester" une monnaie "partielle".


Vous remarquez que je ne dis pas que bitcoin devrait disparaître (ou valoir zéro). C'est une option, mais vu le contexte monétaire ce n'est pas celle privilégiée à court terme.


Malgré cette incomplétude fonctionnelle monétaire, bitcoin répond quand même à un besoin, et comble un vide.


Mon hypothèse c'est juste que bitcoin ne pourra pas devenir une monnaie "complète" dans le sens monnaie "courante", ou monnaie de "masse", ou plus prosaïquement, monnaie pour faire vos courses au quotidien. Sauf peut-être une fois pour tester et dire j'ai acheté un produit en bitcoin dans un commerce physique.


Néanmoins, une fonction de monnaie "partielle" peut avoir beaucoup de sens pour bitcoin, notamment pour certaines fonctions de thésaurisation.


Les qualités de bitcoin (ultra-sécurisé, confiance très élevée sans tiers de confiance, pleine propriété sans être une reconnaissance de dettes en votre faveur, acéphale, limitée, sécable, transférable) pourraient en faire une excellente "monnaie d'épargne" dans le futur.


Et dans ce cadre bien précis, sa volatilité à tendance haussière (sur une durée assez longue) qui était un défaut en tant que monnaie courante, devient un avantage comparativement à certaines monnaies fiduciaires.


Fort de ce constat, que pouvons-nous pronostiquer sur ce qui va se passer au Salvador dans les prochaines années ?


Je crois qu'il faille s'en remettre à la loi de Gresham.


Cette loi empirique dit que « lorsque dans un pays circulent deux monnaies dont l'une est considérée par le public comme bonne et l'autre comme mauvaise, la mauvaise monnaie chasse la bonne », parce que les agents économiques préfèrent thésauriser la « bonne » monnaie, et utiliser pour payer leurs échanges la « mauvaise » dans le but de s'en défaire au plus vite.


A cause de sa volatilité à tendance haussière, je dirais que bitcoin est même "au-dessus" d'une "bonne" monnaie. D'où l'aspect spéculatif du bitcoin, car si ce n'était qu'une "bonne" monnaie (= monnaie strictement stable dans le temps), il y'aurait moins de spéculation, en temps normal (= hors période de crise).

L'hyper expansion monétaire du dollar (à priori déraisonnable, car décorrélée de la réelle création de richesses produites sur la période et par le pays émetteur), en fait de moins en moins une "bonne" monnaie de réserve de valeur dans le temps.


Selon la loi de Gresham, cette double circulation de monnaies au Salvador devrait aboutir majoritairement à l'utilisation du dollar en tant que monnaie "courante", et à l'utilisation du bitcoin en tant que monnaie "d'épargne" (passé l'effet de nouveauté).


Cet évènement incarne le début de la concurrence entre monnaies privées et monnaies publiques, même si bitcoin possède un statut bien à part (ni public, ni privé, mais neutre). Il faut peut-être y percevoir l’amorce de l'abolition du monopole des monnaies fiduciaires dans certaines régions du monde.


Ma thèse je le rappelle, c'est que cette concurrence dans la branche des monnaies "complètes" devrait s'intensifier dans les prochaines années avec l'émergence de monnaies numériques privées émises par des entreprises privées (banques commerciales, GAFA, grande distribution, autres grandes entreprises en contact avec beaucoup de consommateurs), et venir concurrencer les futures monnaies numériques de banques centrales.


Les monnaies numériques de banques centrales ne devraient pas disparaître, même dans un horizon assez lointain, car il y aura toujours besoin d'un prêteur en dernier ressort (par précaution), au moins le temps qu'un tel nouveau système fasse totalement la preuve de sa très grande stabilité sur une assez longue durée.


Pour ne pas froisser les maximalistes bitcoin (qui sont des pionniers et des idéalistes pour beaucoup), je terminerai par une ouverture :


Peut-être que je suis dans l'erreur en affirmant que bitcoin ne peut pas devenir une monnaie "complète" à cause de sa volatilité structurelle. Je suis bien sûr ouvert à réviser ma position avec des explications de bon sens.


J’ai moi-même émis une solution alternative (partielle) qui consistait à créer une nouvelle couche monétaire liée à la couche (métallique) unitaire bitcoin (le crypto-metal). Mais cette solution possède quelques défauts (comment éviter les effets d'hyperconcentration de l'unité de base ? Comment décider uniquement via le code de l'inflation ou de la désinflation monétaire ? Un oracle lié à un panier de produits de consommation ? Et, comment augmenter ou soustraire équitablement la quantité de monnaie en circulation ?).


La trajectoire vers une concurrence des monnaies avec une cohabitation, de monnaies numériques privées, de bitcoin (en tant que monnaie d'épargne), et de monnaies numériques de banques centrales, me semble plus plausible (si on ne donne pas d'échéance).

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